Histoire du protestantisme à Sens (2)

La longue marche de l’Eglise réformée à Sens (2)

En 1817, il n’y a, à Sens, que sept Protestants recensés. Il faudra attendre le printemps de 1845 pour qu’arrive en ville le Pasteur Jean Joël Audebez, venu porter la Réforme dans le sénonais. Des prédications qui vont débuter dans un café. Et attirer des adeptes.

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L'entrée du Temple, rue Pasteur.

C’est chez Jean Dubreuil, cabaretier, installé au 148 de la Grande rue que le Pasteur Audebez ouvre, au début du printemps 1845, ses prêches aux Sénonais. Le 27 mars, le maire de Sens, Louis Jacques Parent lui fait parvenir un courrier : L’administration municipale de Sens comprend, dans un même sentiment de bienveillance, tous ses administrés, à quelque religion qu’ils appartiennent ; elle veille pour eux avec une égale justice, elle les entoure de la même protection. Vous pouvez donc, M. le Pasteur, exercer ici librement votre auguste ministère, toutes les mesures d’ordre et de surveillance que la prudence réclame sont prises pour que vos réunions ne soient pas troublées. Curiosité peut-être, toujours est-il que dans les jours suivants, la salle du café était trop petite pour accueillir la foule qui refluait dans la cour commune avec la maison des Dames de la Providence.

Et le Maire prit une décision radicale qu’il confirma par écrit au Pasteur: Dans le but d’être utile à ceux de mes administrés qui sont vos coreligionnaires, je m’empresse de mettre momentanément à votre disposition la grande salle, dite des pas-perdus, dans l’ancien palais de justice dont la ville est propriétaire (1). Si les premières réunions avaient été considérées comme accidentelles et non préméditées, il ne pouvait plus en être de même pour les suivantes ce qui rendit quelques âmes chagrines comme le note le Maire dans une lettre au sous-préfet : L’émotion causée à Sens ne s’est fait sentir que dans le clergé. On a blâmé l’utilisation de la salle de l’ancien archevêché et M. l’archevêque a cru devoir se plaindre à M. le Ministre des Cultes, de la protection donnée à un culte dissident par l’administration municipale ; il a cru voir dans cette tolérance un acte d’hostilité personnelle. Et encore : A Sens, la population est sincèrement attachée à la Dynastie régnante, elle souffre, elle s’irrite de voir l’état permanent dans lequel s’est placé le clergé. Eh quoi ! Du haut de sa chaire évangélique, un ministre protestant appelle chaque jour sur la France, sur le Roi et sur la famille royale, les bénédictions du ciel. Le peuple qui l’écoute joint sa prière à la sienne et dans notre église métropolitaine le prêtre chargé d’annoncer les différents services de la semaine parle de tout hormis de la fête du Roi des Français, Louis Philippe… Si donc les prédications de M. Audebez sont suivies, la faute en est au clergé, il ne peut s’en prendre qu’à lui seul…

Le 7 mai 1845, le maire avise M. Audebez que du 11 au 19 les réunions du culte qu’il représente ne pourront se tenir dans la grande salle des pas perdus de l’ancien palais de justice, ce local étant désigné pour la vérification des armes de la Garde Nationale. Devant les réticences de M. Hébert, procureur général de la Cour Royale de Paris qui s’inquiète de savoir si les réunions protestantes se tiendront toujours dans le même local, notant qu’il parait être établi qu’il existe un lien, entre ceux qui écoutent et le ministre protestant, qui puisse donner lieu à croire à une association, M. Audebez avise le maire de son intention de continuer les fonctions de son ministère dans une salle dépendant d’une maison rue des Vieilles Etuves appartenant à Mme Veuve Hattier. Le maire lui renouvelle sa protection tout en affirmant au Préfet que les garanties de sureté et de surveillance lui paraissent suffisantes.

Le 27 mai, le sous-préfet envoi un long rapport au préfet qui sera transmis au Garde des Sceaux. Extraits: Suivant une lettre de l’archevêque, communiquée par le Ministre des cultes, les ministres protestants auraient été amenés à Sens moins peut-être par un sentiment de propagande religieuse que dans le but et avec une arrière pensée politique (…)  L’an dernier, un Sieur Prunier libraire colporteur est venu s’installer à Sens pour y vendre des bibles et quelques une de ces  publications du culte réformé (…) M. Audebez est revenu à Sens accompagné de M. Filliol, comme lui pasteur libre, appartenant au culte réformé ou Calviniste reconnu par l’Etat… Ils auraient acheté une maison et un terrain situé rue des Canettes (Rue Pasteur). Leur projet serait d’élever une école, (qui fonctionnera une vingtaine d’années) un temple et un logement pour le pasteur (…) L’instruction sera gratuite dans l’école et la direction de cet établissement parait devoir être confiée à Prunier, le colporteur, qui est actuellement à Paris pour y subir les examens nécessaires à la délivrance de son brevet de capacité (…) Une salle de danse paraît peu convenable pour tenir des réunions religieuses et le maire devrait trouver facilement dans le fait matériel du local un motif suffisant de refus. Mais vous connaissez l’esprit de M. le Maire de Sens. Ce à quoi, en substance, le Maire répond : La sureté, la tranquillité, l’ordre sont parfaitement saufs. Les empêcher de se réunir sous prétexte que le local est peu convenable serait faire ressurgir les réclamations les plus vives, faire crier à la persécution. Si le local, je le répète est mal choisi, les ennemis du protestantisme devraient s’en réjouir, car le tort rejaillira infailliblement sur celui-ci (…)

Pour ne plus envenimer une situation qui prenait des relents de guerre de religions, voire un affrontement avec les autorités civiles, le 26 mai 1845, devant Me Amboise Dubois, Alexandre Joseph de Valcourt, architecte à Paris, avait acheté pour 14 000 F, de Rosalie Joséphine Piesse, veuve de Jean Paulard, laboureur à Sainte-Colombe, une grande maison composée de deux corps de bâtiments avec jardin, rue des Canettes, juste derrière l’Hôtel de Paris. M. de Valcourt était assesseur de la Société Evangélique de France et M. Audebez secrétaire général. Ils demandent au maire l’autorisation de construire, autorisation qui leur est accordée. Le 7 novembre, M. Audebez fait part au maire de son intention d’inaugurer le 13, la chapelle évangélique nouvellement édifiée et l’informe que désormais c’est en ses locaux que se tiendront les assemblées du culte.

Courtoisement, le maire lui répond : La visite que j’ai faite de cet édifice religieux m’ayant convaincu que toutes les conditions de convenances, de sûreté, de salubrité et de surveillance ont été remplies, je crois devoir vous informer qu’aux yeux de l’autorité municipale rien ne s’oppose à son inauguration, non plus qu’aux réunions périodiques qui doivent s’y tenir. Des instructions ont été données à M. le commissaire de police pour que vous puissiez, comme par le passé, jouir sans trouble de la liberté religieuse garantie par la Chartre.

En 1875, Ladislas Fijalkowski, architecte à Sens, dresse les plans pour aménager un nouveau logement pour pasteur Dussauze et sa famille, dans le local de l’ancienne Ecole évangélique. En 1883, la propriété des immeubles sera apportée en société par Mme veuve  de Valcourt lors de la constitution de la Société Evangélique de France. Cette dernière, pour se mettre en conformité avec la loi du 9 décembre 1905 portant sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, cédera, le 6 décembre 1906, la propriété à Société Evangélique de France constituée en union d’associations cultuelles selon la loi de 1901.

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Dès son arrivé, la communauté neerlandaise se regroupe dans des temples improvisés comme ici dans la ferme, de Piet Quaak.

Après la Grande guerre, dans les années 1930, un groupe d’agriculteurs hollandais  vint s’installer dans le Sénonais où beaucoup de fermes étaient plus ou moins laissées à l’abandon, faute de mains d’œuvre locale. Puis les années noires subies sous le joug hitlérien vont voir renforcer  ce  flux d’immigrants néerlandais. En 1977, l’Eglise protestante néerlandaise de Sens sera intégrée dans l’Eglise Réformée de France.

La longue errance des protestants est désormais terminée.

Gérard DAGUIN

Documentation : Bernard Brousse, SAS, Virginie Garret, Cerep 5, rue Rigault Sens. Le Temple et le renouveau du protestantisme à Sens au milieu du XIXème siècle, Jacques Gyssels. (1) : Il s’agit du Palais Synodal (qui n’était pas encore restauré par Viollet-le-Duc). En face, dans la cour, l’aile Henri II du Palais des Archevêques abritait à nouveau, depuis la Restauration, l’archevêché. 

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Le Temple protestant à Sens

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La Bible, en place depuis la création du Temple

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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